Instagram, le réseau social dédié à la photo, a modifié ses conditions générales d’utilisation, et cela a fait grand bruit.
En effet, des clauses des CGU permettent désormais à Instagram de « revendre » vos photos à un tiers, sans que vous n’ayez votre mot à dire (transférer la licence d’exploitation).
Instagram does not claim ownership of any Content that you post on or through the Service. Instead, you hereby grant to Instagram a non-exclusive, fully paid and royalty-free, transferable, sub-licensable, worldwide license to use the Content that you post on or through the Service
Dois-je paniquer et retirer immédiatement mes photos de cupcakes avec 172 filtres ?
La réponse n’est pas aussi évidente qu’elle n’y paraît (bien que les médias en ligne se soient précipités dans la brèche pour faire le buzz). Beaucoup de facteurs se mélangent, que ce soient les droits d’auteurs du pays d’origine (là où l’œuvre a été créée), les droits d’auteurs du pays où est survenue la contrefaçon (là où la photo a été exploitée sans que vous ne soyez payés), le contrat que vous avez signé avec la marque (les fameuses CGU), les conventions internationales, et la jurisprudence (locale ou étrangère).
Le droit d’auteur en France
La loi française est très protectrice des droits d’auteurs, et si Instagram était un service français, il ne pourrait pas faire signer de telles clauses à ses utilisateurs.
En France, toute cession sur une œuvre future est nulle (L-131-1 du CPI) , et toute exploitation doit faire l’objet d’une rémunération proportionnelle à la diffusion (L-131-4 du CPI). Impossible donc de tirer profit de vos photos sans votre accord et sans vous en reverser un centime, juste parce que vous avez un jour menti en cochant une case « j’ai lu et j’accepte les conditions » en vous inscrivant sur le service.
Au droit d’auteur vient s’ajouter le droit à l’image, très protecteur également, qui vient corser les choses si le modèle sur la photo n’a pas donné son accord, ou s’il est mineur.
Le principe d’originalité
Il y a quand même un prérequis à toutes ces protections : que l’œuvre soit originale et qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de l’auteur, ce qui dans le cas d’œufs brouillés au bacon pris de dessus avec le filtre « Hudson » peut être sujet à caution…
Quelle loi s’applique ?
Il serait donc avantageux que la loi française s’applique, or, selon l’article 5.4 de la convention de Berne, en cas de contrefaçon, le droit applicable est celui dans lequel la contrefaçon a été réalisée. Et comme le responsable de la contrefaçon est toujours le diffuseur de l’œuvre, si par exemple Instagram a vendu votre merveilleuse photo de brunch a un restaurant français, ce sera la loi française qui s’appliquera, si la contrefaçon est constatée aux États-Unis, c’est celle des USA qui s’appliquera etc… Parfois, même quand la contrefaçon se produit à l’étranger, les juges peuvent choisir comme juridiction le pays d’origine (ex : jurisprudence affaire Huston). Bref, un assez gros sac de nœuds.
Parallèlement, vous avez signé des CGU qui de fait sont un contrat privé sous juridiction américaine, ce qui peut rajouter un peu de fun si le contrefacteur décide d’appeler Instagram en garantie, qui décide à la suite de se retourner contre vous.
Selon le pays où votre photo est reproduite, vous pouvez donc avoir gain de cause… ou non.
OUI ou NON instagram peut-il vendre mes photos ?
Techniquement… ça va dépendre de plein de paramètres, dont celui non négligeable d’avoir à votre disposition un cabinet d’avocats spécialisés en propriété intellectuelle internationale. En très gros résumé, vous pourrez toujours attaquer une entreprise qui diffuse votre image sans vous payer, mais bonne chance pour arriver à un résultant probant (surtout hors de France).
Vos tongs sur la plage avec un filtre « Amaro » méritent-elles que vous vous donniez tant de mal ? Il est également probable qu’Instagram ait ajouté cette clause pour « être tranquille », sans volonté de revente au détail.
Que faire de mes photos ? Sur quel réseau social migrer ?
Si vos photos ne revêtent pas l’empreinte de votre personnalité, ou une originalité folle, et ne mettent pas en jeu le droit à l’image de tiers, vous pouvez rester sur Instagram, de toutes façons, je ne pense pas que vous vouliez payer un hébergement ou un service pro pour des photos « jetables » qui reflètent juste un état d’esprit éphémère (un peu comme un tweet).
Par contre, si vous faites de la photo professionnellement ou un peu sérieusement, envisagez de choisir un service professionnel et sérieux, avec des CGU claires qui ne vous spolient pas d’office de tous vos droits, si possible dans une juridiction française (difficile à trouver !), et qui en tout cas vous garantit l’entière propriété sur vos photos.
Pourquoi ce changement de CGU n’est pas une surprise ?
Quoiqu’il en soit, il est assez bizarre de s’étonner du mouvement d’Instagram, alors que dès le départ les CGU étaient assez critiquables. Une entreprise telle qu’Instagram a forcément des velléités de faire du profit, et comme le dit l’adage, si le service est gratuit, c’est que vous êtes le produit. Il faut donc avoir toujours à l’esprit de l’instabilité de ces services, et n’y uploader aucun contenu critique (exemple au hasard : vos charmants bambins) ou monnayable.
Ça n’est pas un scoop, les réseaux sociaux ne sont pas philanthropes, ils agrègent du contenu à priori sans valeur individuelle pour le revendre des millions de dollars (milliard dans le cas d’Instagram). Cette problématique n’est pas neuve, c’est juste que la prise de conscience arrive souvent trop tard.