Ce mouvement, créé spontanément et très rapidement, faisait écho à la publication du document de travail de la loi de finance 2013, dont un article parlait de l’alignement de la fiscalité du travail et du capital, ce qui n’a pas plu aux patrons de startups qui risquaient de voir l’imposition sur la revente de leur entreprise augmenter. En dehors de toute considération politique sur cette mesure, je vais analyser les facteurs qui ont favorisé la propagation des revendications des patrons en colère, et comment celles-ci ont rapidement touché la presse, avec une redoutable efficacité. En effet, 48h après le début du mouvement, les JT reprenaient directement l’information, telle que diffusée sur les réseaux.
Comment une propagation si rapide est-elle possible ?
On peut reconnaître au « Pigeons » une efficacité incontestable, car après quelques jours de lobbying, ils ont été reçus à l’Élysée. Voici les principales raisons de cette réussite :
L’utilisation de certaines techniques de manipulation des masses
Comme celles énoncées par Noam Chomsky, telle que l’infantilisation et le ressort émotionnel. On a vu les « Pigeons » répéter qu’ils allaient être taxé à 60% sur le prix de revente après le nouveau texte. Ce chiffre sonne bien, c’est le double de la taxation en vigueur actuellement, et ça représente plus de la moitié de la somme de la revente, ce qui en fait le symbole parfait de l’impôt confiscatoire. Bien qu’il soit totalement fantaisiste, ce chiffre est repris par tous sans discernement ni vrais calculs (infantilisation), en criant à la spoliation (ressort émotionnel). Une fois ce chiffre brandi, impossible d’avoir un débat serein sur le contenu de la loi et ses vrais enjeux.
L’utilisation abondante de visuels, à commencer par le pigeon décliné en avatar
C’est très simple à mettre en œuvre et ça permet d’interpeller directement toutes les personnes en contact avec celui qui a changé son avatar. Un effet de masse permet aussi d’investir l’espace avec une l’iconographie du mouvement. Des illustrations porteuses du message sont également créées, car ce type de contenu se partage très facilement et l’effet viral joue à plein.
L’utilisation d’alliés de circonstance
Le mouvement a été artificiellement gonflé en mélangeant les revendications des patrons de startups et celles des auto-entrepreneurs (beaucoup plus nombreux). Bien que leurs problématiques soient éloignées de l’impôt sur la plus-value (pas de revente possible pour ce type d’entreprises), ils se sont identifiés aux « Pigeons » par le dénominateur commun de l’entrepreneuriat et ont largement diffusé et amplifié le message.
L’expression d’inquiétudes plus profondes
Comme on l’a vu, les textes ne concernaient qu’une infime partie des entreprises françaises (potentiellement quelques centaines), et pas dans les proportions mentionnées. Pourtant, les réseaux sociaux ont été complètement saturés. On peut se demander si ça n’était pas l’expression d’un message plus profond adressé au gouvernement sur le futur de l’entrepreneuriat et « le rêve d’entreprendre » et de créer de la croissance.
La présence des journalistes sur les réseaux sociaux
Les journalistes liés de près ou de loin à la « Net Economy » se tiennent aux aguets sur Twitter et Facebook (le groupe Facebook des Pigeons compte à ce jour plus de 70 000 mentions « j’aime »), et sont directement en contact avec les acteurs du monde numérique. Ainsi, dès que le mouvement a été lancé, ils étaient au premières loges pour le relayer et le transmettre aux rédaction « classiques ». Même si le mouvement était très restreint, vu des réseaux sociaux il paraissait énorme, car les protagonistes sont omniprésents sur les réseaux. À titre de comparaison, il a fallu plusieurs semaines aux centaines de milliers « d’indignés » pour apparaître dans les titres d’un JT national, alors que ça a été le cas en seulement quelques jours pour le pigeons. On peut aussi se demander pourquoi les journalistes ont, dans les premiers jours, relayé le message brut des Pigeons, comme les fameux 60%, au lieu de faire un travail d’analyse de fond et d’exposer objectivement les modifications apportées à la fiscalité par le nouveau texte.
Un mouvement apolitique ?
Le mouvement se veut depuis le départ apolitique, mais on a assisté à un phénomène de « longue traîne », avec au fur et à mesure des protagonistes politiques qui se sont greffés au mouvement et en ont profité pour faire passer leurs messages.
Une véritable réussite ?
Incontestablement la mobilisation a été efficace, le message a été largement repris et diffusé, et le gouvernement a tendu une oreille attentive à ces entrepreneurs qui faisaient part publiquement de leur inquiétude. Est-ce pour autant la fin du lobbying tel qu’on le connait, avec un glissement vers un « soft lobbying » totalement online ? L’adoption de la loi de finance 2013 et la façon dont elle sera amendée nous le dira. On peut se demander pour qui ce « coup de com » (lancé spontanément au départ) a été le plus efficace. Peu d’entrepreneurs étaient concernés par cette mesure, contrairement aux capital-risqueurs. D’ailleurs on retrouve des investisseurs à l’origine du mouvement. Si le mouvement abouti à une modification de la loi, ils auront réussi là un véritable coup de maître en faisant adopter et défendre leur cause par un public nombreux, efficace, mobilisé et plus au courant des réseaux sociaux qu’ils ne le sont eux-mêmes. Si cette dernière hypothèse est juste, le mouvement des pigeons n’aura jamais aussi bien porté son nom.